Le nouveau désordre mondial

Le 20 janvier 2020, l’Agora recevait à sa tribune Thomas Gomart pour une conférence ayant pour thème : « Le nouveau désordre mondial ». Le directeur de l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI) nous a livré une analyse détaillée et soutenue par une perspective historique des mutations des rapports de force internationaux et de l’émergence des nouveaux enjeux géopolitiques.

« L’affolement du monde »

Si Thomas Gomart a décidé de consacrer un livre au tournant inédit que prennent les relations internationales, c’est précisément pour ne pas perdre le contrôle d’un monde toujours plus incertain. Loin du pessimisme, il s’agit avant tout de réfléchir sur les bouleversements politiques à l’œuvre sur les différents continents. En effet, la montée du nationalisme, incarné par le Brexit et l’élection de Donald Trump en 2016, est un des symptômes de ce nouveau désordre mondial pour l’historien. Cette montée du populisme aurait une origine territoriale : l’effacement progressif des nations au profit d’une toute puissance des multinationales alimente l’insatisfaction populaire et le désir d’une intervention plus aboutie de l’État, symbolisée en France par le mouvement des Gilets Jaunes.

Dans un tel contexte, la diplomatie est plus que jamais menacée. La rapidité avec laquelle s’expriment désormais les leaders mondiaux, via les réseaux sociaux, irait au-delà du « softpower » et aurait des conséquences non-négligeables pour les nations selon Gomart, comme l’illustre la guerre commerciale sino-américaine. Alors même que le secret diplomatique est nécessaire, celui-ci est de plus en plus remis en cause. Plus qu’une question de communication, la personnification d’une puissance étatique souveraine autour d’un homme fort semble à la mode. De la Russie jusqu’au Brésil en passant par la Turquie, la dichotomie grandissante entre des leaders autoritaires et les décideurs occidentaux rend la coopération et le consensus interétatique sur des thèmes clés d’autant plus difficile. Il s’agirait alors de passer outre ces divergences de tempéraments afin d’éviter de basculer vers l’unilatéralisme ou de subir une immobilité décisionnelle semblable à celle que connaît actuellement l’Union Européenne.

La résurgence russe

Dès les années 2000, la Russie est apparue comme un pays prometteur économiquement mais l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine et sa volonté de laver l’affront de la Guerre Froide ont certainement été sous-estimés explique le directeur de l’IFRI. Une telle ambition peut d’ailleurs expliquer l’omniprésence militaire russe et ses diverses interventions stratégiques au MoyenOrient. Néanmoins, en dépit d’une stratégie de désinformation avérée, Gomart insiste sur le fait, en prenant l’exemple des dernières élections présidentielles américaines, que l’ingérence russe
sur les divers continents ne peut être désignée comme seule responsable des tournants sociologiques à l’œuvre ni être exagérée.

« La Russie n’est jamais aussi faible qu’elle le prétend mais jamais aussi forte qu’elle n’en a l’air »

Si ce pays est souvent au centre de nos préoccupations, c’est surtout en raison de la relation particulière qui lie historiquement cette puissance au Royaume-Uni, aux États-Unis et à la France depuis la Seconde Guerre Mondiale. En période de crise politique et morale inédite, il est naturel de se méfier d’un tel régime lorsque l’idéal démocratique semble contesté. Le fait que ce pays demeure peu étudié explique également pourquoi il fascine autant qu’il intrigue.

La géostratégie comme point d’orgue

Les espaces communs ne font pas exception aux changements géopolitiques en cours. Aussi, tous les moyens sont bons pour exploiter au mieux la terre, la haute mer mais aussi l’espace y compris la privatisation, à l’instar de l’entreprise américaine Space X que Gomart considère comme un investissement fédéral déguisé.

« La mondialisation est avant tout une maritimisation »

Mais la tendance actuelle à la remilitarisation ne peut être dissociée des enjeux commerciaux liés à la mondialisation. C’est que la maîtrise des espaces maritimes et la faculté à se projeter rapidement dans différentes zones stratégiques du monde apparaissent aujourd’hui au cœur des ambitions nationales : annexion de la Crimée par la Russie, déploiement des nouvelles routes de la soie par la Chine… Dès lors, ce contexte fragilise des alliances militaires historiques qui ne font désormais plus l’unanimité. Gomart évoque notamment les « free-riders » de l’OTAN et explique que les sanctions économiques américaines peuvent être interprétées comme le prix à payer pour jouir d’une protection militaire. Bien qu’une action unilatérale demeure possible, l’historien rappelle qu’en cas d’intervention militaire, c’est la totalité d’une génération qui est touchée. Dès lors, il importe d’éviter toute réaction hâtive face à des questions sensibles, telle que le dossier iranien, afin de ne pas céder définitivement à la panique.

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