Jean-Michel Fauvergue : Servir sans faillir

Le 28 janvier 2020, l’Agora recevait à sa tribune Jean-Michel Fauvergue pour une conférence sur le thème : « Servir sans faillir. » Jean-Michel Fauvergue, ancien patron du RAID et actuel député En Marche, se livre à un amphithéâtre captivé et procède à un récit aussi fascinant qu’effroyable de la vague d’attentats subis par la France, et de ses conséquences passées comme présentes.

« On sait qu’il ne se rendra pas. »

En France, le terrorisme moderne débute avec la guerre d’Algérie. Mais aujourd’hui, une mutation funeste de ce terrorisme change les règles du jeu : le terroriste radicalisé recherche maintenant activement la mort. Mohammed Merah s’attaqua à des militaires puis exécuta de jeunes enfants d’origine juive. Il n’avait qu’un seul but et une seule fin en tête : s’attaquer à des cibles chères à l’imaginaire national français, et mourir les armes à la main. À partir de là, il n’est plus envisageable de négocier. La seule solution devient le contact. Et chaque moment perdu est un moment que le terroriste peut utiliser pour préparer des explosifs, se reposer ou tuer des otages.

« On fait déjà beaucoup. Mais ce n’est pas assez. »

Le RAID, unité d’élite de la police, n’intervient pas que dans le cadre de la lutte contre le terrorisme : en 2016, sur 400 interventions, 187 étaient contre des terroristes. Les missions du RAID se recoupent avec celles d’autres unités d’élites, notamment la BRI et le GIGN. C’est là qu’un problème survient : l’affectation de plusieurs unités à une même mission crée des redondances de postes au niveau de la hiérarchie. Cela entraine des pertes d’efficacité ainsi que l’instauration d’un climat de compétition qui nuit à la poursuite de l’objectif final de ces unités : la sécurité des Français. Par exemple, lors de l’assaut du Bataclan, J.M. Fauvergue n’était pas en position FIPN, c’est-à-dire qu’il n’était à la tête des trois unités. La coopération entre le RAID et la BRI n’était effective que parce que leurs commandants respectifs s’entendaient bien. Inacceptable pour Fauvergue qui souhaite la création de véritables processus de coopération.

Pour lui, la seule solution est l’entrée dans le XXIe siècle de ces unités. Même si l’on en est encore loin, il milite pour cette transformation profonde. En effet, aux côtés de Alice Thourot, il établit un livre blanc et rédige la proposition Thourot-Fauvergue préconisant 76 mesures. L’idée étant que l’État ne peut plus tout faire, il faut donc utiliser tous les moyens disponibles, services publics et privés, pour assurer un linéaire de sécurité. Le nouvel enjeu est aussi celui du local : chaque endroit ayant ses particularités, produire de la sécurité à Roubaix ne se fait pas de la même manière qu’à Paris. Il préconise donc une police de sécurité du quotidien, aussi appelée police de voisinage. D’ailleurs, créer cette nouvelle police ne passe pas par l’embauche de nouveaux policiers : la France fait partie des pays les mieux dotés en forces de sécurité intérieure. Augmenter le budget est inutile, il faut repenser le déploiement des unités.

Jean-Michel Fauvergue reste convaincu qu’il n’y a jamais eu de « forme d’euphorie de la population française pour sa police ou gendarmerie » notamment dans le contexte de bavures policières lors des manifestations de Gilets Jaunes, expliquées en partie par le rythme de travail infernal subi par nos forces de l’ordre. Et l’enjeu de la visibilité, dont le manque est souvent reproché, n’arrange rien. Ce manque s’explique par une contrainte de moyens humains : pour avoir 10 policiers constamment sur le terrain, donc visibles, il faut en embaucher 70. Repenser le déploiement et l’organisation des unités est par conséquent primordial.

« Ils sont partis là-bas, qu’ils restent là-bas.
Et surtout qu’ils ne reviennent pas en France. »

Cette réaction spontanée, en parlant des Français partis faire le djihad au Moyen-Orient, et risquant la peine de mort s’ils ne sont pas extradés, est dure. Face à la fermeté de la réponse et au silence pesant qui s’ensuivit, la salle ressentit tout le poids reposant sur les épaules de Jean-Michel Fauvergue, ancien patron du RAID. Même si beaucoup peuvent critiquer cette déclaration, et le feront sûrement, quelle clémence peut-on attendre d’un homme qui eut à parcourir des mares de sangs et à se déplacer entre les cadavres des citoyens qu’il avait juré de protéger au péril de sa vie ? Jean-Michel Fauvergue a vu de ses propres yeux, a senti et ressenti l’horreur des attentats de la manière la plus tangible qu’il soit. Et pourtant, Fauvergue, en déclarant ces quelques mots, se tenait droit, comme animé par une force irréelle. Ce qui anime un policier, c’est la protection des citoyens français, de la République française et de ses valeurs. C’est l’envie de servir la population. C’est être le dernier rempart de la République dans cette bataille sanglante des valeurs. En ces quelques secondes, qui ont semblé être des minutes, l’amphithéâtre de l’EDHEC a aperçu le visage dévoilé d’un patron du RAID, le visage d’un héros de la République.

« La France est devenue une fabrique à terroristes radicalisés. »

Même si Fauvergue est convaincu que la lutte contre le terrorisme à l’extérieur des frontières françaises est essentielle, il met en garde qu’une grande partie du problème provient aussi de l’hexagone, et notamment des multiples lâchetés non seulement des politiques, mais d’une population entière. De l’endoctrinement en prison à la peste du communautarisme, ce n’est pas seulement les forces de l’ordre qui vont devoir redoubler d’effort, mais aussi et surtout l’ensemble de la population française. Ce n’est plus le moment de perdre du terrain, mais « de [le] regagner ».

« L’humain, l’humain, l’humain ! »

C’est peut-être en voyant tant de morts que Jean-Michel Fauvergue semble si profondément convaincu que la richesse de notre monde se trouve dans la vie, et dans l’humain. Alors que notre monde devient toujours plus connecté et dématérialisé, Fauvergue appelle l’auditoire à ne jamais perdre de vue que l’humain est ce que l’humain a de plus précieux : dans ce plaidoyer autant destiné aux futurs managers qu’à la jeunesse, Fauvergue avait à cœur d’enseigner cette leçon de vie.

« N’aie pas peur, le RAID va venir nous sauver. »

Jean-Michel Fauvergue nous laisse sur un récit inspirant et émouvant. Un an après le massacre du Bataclan, il était retourné sur place. En arrivant, une jeune fille en pleurs l’attendait. Elle n’attendait que lui : lors du massacre, sa seule lueur d’espoir résidait dans la croyance que le RAID viendrait la sauver. Dans ce souvenir, Fauvergue trouve du sens au dévouement de son unité, et aussi par idéalisme, la force de la République et la beauté de la France.

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